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The Yellow Line

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On a round meeting table, a factory is being built, workers the size of Nativity scene figurines arrive. In the company of these little terracotta characters, who build Renault cars, discuss, revolt, an actor retraces the saga of the Renault factory of Cléon from the 1950s to the 1970s. Their short stories remind us that social advances did not arrive in Santa’s pack, but were hard-won attainments.

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Photo : Meescat

LA LIGNE JAUNE

Changeant d’échelle, les Grandes Personnes, habituées aux marionnettes géantes, se penchent sur de petites sculptures. Sur une table autour de laquelle on s’assemble, une usine se construit, des ouvriers arrivent, à la taille des santons de la crèche. Grâce à une actrice qui les manipule et qui leur prête sa voix, les petits personnages de terre cuite construisent des voitures Renault, discutent, se révoltent, finissent par séquestrer un encadrement qui ne veut pas écouter leurs demandes, retraçant l’épopée de l’usine Renault de Cléon, près d’Elbeuf au cours des années 1950-1970. Leur histoire minuscule rappelle que les avancées sociales ne sont pas arrivées dans la hotte du père Noël, mais ont été conquises de haute lutte.

La condition ouvrière
La Ligne jaune est un projet politique dans la mesure où il s’agit de secouer le fatalisme ambiant et rappeler au prix de quelles luttes la condition des ouvriers s’est améliorée au XXe siècle. Le récit mêle des destins individuels et des grands moments historiques collectifs.
Par ailleurs, La Ligne jaune recourt aux éléments ludiques et populaires que sont les santons de la crèche, situés à mi-chemin entre l’art et l’artisanat. Le jouet en effet, du train électrique à la poupée, est déjà une sculpture, et par définition sert de support à l’invention, à la narration et au dialogue. Sur ce principe, l’actrice de La Ligne jaune raconte des histoires en manipulant des figurines, en invitant les spectateurs à jouer aussi, afin de rétablir un lien avec l’enfance, comme les grandes marionnettes le faisaient déjà, puisqu’ici aussi, il est question de mythes fondateurs et de mémoire.
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À la première sonnerie, à cinq heures vingt-cinq, les ouvriers doivent se trouver dans l’atelier. Photo Achromatik

Le dispositif scénique
L’acteur explique les règles du jeu, déplace, actionne et manipule des sculptures et des santons, sur un plateau de table autour duquel les spectateurs sont installés en rond. La table et les sculptures inspirées de jouets figurent la scène de la mémoire de chacun d’entre nous, mais aussi la table de famille, l’atelier dans l’usine etc. Des objets passent parmi les spectateurs, des choix proposés au public modifient le déroulement du récit et suscitent des interactions réelles. Ainsi, un élément caractéristique des intérieurs latins, la table entourée de ses chaises, se trouve déplacé de l’intérieur, où elle symbolisait l’intimité et la famille, vers l’extérieur, la rue. Ce bouleversement des habitudes peut rappeler les évictions, les déménagements ou, justement, les piquets de grève. Si l’occupation de la rue à des fins spectaculaires rappelle d’ailleurs aussi ce corollaire de la grève qu’est la manifestation, il s’agit ici non d’y défiler, mais de s’y installer longuement, familièrement et de retrouver la mémoire de luttes passées.

Chaque fois que les CRS ont tenté d’entrer de force dans une usine, ça s’est mal passé . Photographie Achromatik.

Ce qui se joue sur la table : La Ligne jaune
Le spectacle raconte les tribulations d’une famille sur trois générations, en lien avec l’histoire plutôt méconnue de l’usine Renault de Cléon, en Normandie, près d’Elbeuf, depuis sa création, en passant par la sombre affaire du « diamant », jusqu’au conflit retentissant avec occupation des locaux et séquestration de l’encadrement en 1968 et ses lendemains immédiats.
L’un des intérêts de La Ligne jaune est d’aborder le monde de l’usine, du travail et de la lutte sociale, comme jadis L’Établi de Linhart ou plus récemment les romans de Gérard Mordillat, mais sous la forme la plus vivante, la plus ludique possible.
Pour évoquer la mémoire du travail et de la revendication sociale, nous avons assez rapidement retenu les luttes menées par les ouvriers de Renault Cléon. Les conflits sociaux, parce qu’ils y ont été exacerbés, allant jusqu’à une grossière machination d’un côté et à la séquestration de l’encadrement de l’autre, y prennent valeur d’exemple. Et puis la création de l’usine en quelques mois est une aventure industrielle moderne. Naturellement, le spectacle sera proposé aussi dans la région Haute-Normandie, qui est son cadre premier, et où il pourra susciter des échos intéressants.

On poursuit la grève et on occupe l’usine. Photo Achromatik

Les santons
Les rôles sont tenus par des santons et des éléments de décor que l’acteur dépose un à un sur une table. Le choix des santons de la crèche pour interpréter cette épopée syndicale et industrielle n’est pas seulement une provocation amusante ; il rappelle à quel point ce conflit a été fondateur et il tisse un lien avec les techniques de moulage utilisées à la fois pour les moteurs et pour les santons. Tous comme les ouvriers de l’usine, ces figurines sont traditionnellement déterminés par leurs métiers, berger, boulanger, garde-champêtre, etc. La terre cuite des santons fait écho à la fragilité du corps de chair de l’ouvrier confronté à la machine. Même s’ils sont résolument modernes et réalisés par cinq jeunes plasticiens, certains d’entre eux sont inspirés par personnages traditionnels de la crèche provençale, le ravi, le garde-champêtre, les rois mages etc. et ils ont été fabriqués selon les techniques exactes des santonniers professionnels, confection de moules, moulage de terre crue, cuisson, peinture à la gouache. Sur scène, ils arrivent progressivement, jusqu’à devenir une petite foule sur la table.

« Toutain a quitté l’atelier. Troisième faute professionnelle. Viré, Toutain ! » Photographie Achromatik.

1958-1978
Renault installe une nouvelle usine au bord de la Seine pour construire les boîtes de vitesse des « dauphines ». Au lieu d’une étable ou d’une grotte, c’est une usine qui apparaît. Elle se construit à une vitesse record. La première machine-outil est mise en marche alors que les murs ne sont pas encore finis. Les vaches s’en vont. Les petites industries familiales locales, spécialisées dans le tissage, déjà en perte de vitesse, prennent très mal l’arrivée de ce géant qui débauche leurs employés et promet des salaires qui paraissent mirifiques. La CGT s’implante dans la nouvelle usine et les tensions avec la direction atteignent leur sommet en 1960 : on accuse de vol de diamants de tête de foreuse le délégué du personnel. En 1962 on commence à fabriquer le moteur « Cléon fonte », qui sera utilisé jusqu’en 2004 !
À la fin des années soixante, l’atmosphère dans l’usine se dégrade. Les ouvriers se sentent souvent blessés dans leur dignité. On les paie moins qu’à Billancourt, on délimite leur parcours avec une ligne jaune qu’ils n’ont pas le droit de franchir avant la sonnerie, on les empêche de se laver les mains pendant leur temps de travail et certains cadres les appellent « la viande », les « betteraviers »…
Il y a quelques « gauchistes » dans l’entreprise. Aussi, le 16 mai 1968, quand les membres de la direction refusent de recevoir les délégués des grévistes, ces derniers, malgré l’avis de la CGT les séquestrent. Ils sont enfermés dans leurs bureaux, contraints à dormir sur la moquette, à peine nourris, avec un ouvrier qui joue du clairon sous leur fenêtre. L’un des cadres fait un malaise ; ses collègues craignent d’être attaqués par des ouvriers soûls… À l’extérieur, on essaie d’organiser un commando pour les délivrer. Une femme de ménage leur apporte, dissimulés dans un seau, sous une serpillière, des sandwichs.

Yvonne rejoint l’usine Renault, pas comme ouvrière, on n’en prenait pas à l’époque, mais comme femme de ménage. Photographie Achromatik.

L’exposition La Ligne jaune
Avant, pendant et après le spectacle, les santons et les accessoires du spectacle peuvent être exposés dans une vitrine du voisinage, pour qu’on puisse profiter de près des détails de leur sculpture et différencier le travail des plasticiens impliqués.

Le texte
Comme celle du spectacle À la corde, l’écriture est le fruit d’une collaboration entre Christophe Evette plasticien à qui revient l’idée du dispositif, et Jean-Baptiste Evette, auteur, qui a déjà travaillé sur l’histoire du monde ouvrier. Au fil des collaborations, ils prolongent des inventions ludiques commencées au cours de leur enfance.
Les répétitions et les premières représentations ont permis de mûrir et d’affiner le texte, avec l’aide des comédiens et de plusieurs metteurs en scène.
Si le travail, les revendications ouvrières et leur aboutissement sont au cœur du propos, le récit s’emploie à rendre la complexité et la richesse des relations entre ces hommes qui travaillaient ensemble, qu’ils fussent cadres ou ouvriers, il aborde les questions de l’arrivée des femmes, des accidents du travail, de l’alcool et de la convivialité dans l’usine, etc. Le texte repose sur une recherche bibliographique, sur le visionnage d’archives, mais surtout sur des témoignages oraux recueillis auprès d’anciens salariés de Renault Cléon, ayant vécu la fondation de l’usine et les conflits des années soixante, ainsi que d’un délégué syndical d’aujourd’hui.
Porté par une actrice unique, le texte est un monologue, mais on y entend parfois les échos d’un parler ouvrier qui ne se réduit pas à une syntaxe malmenée, des ordres lancés par la maîtrise, mais aussi un feuilletage des voix, puisque les paroles des parents et des grands-parents y sont perceptibles à travers ceux de leur fille et petite-fille narratrice de l’histoire.
À des moments clés, le texte provoque, invite les spectateurs à participer, pour que le moment collectif du spectacle fasse écho au moment collectif de la fabrication ou de la grève. Ainsi, la narratrice consulte les spectateurs sur la suite à donner à la grève, ce qui implique une écriture ouverte, offrant des bifurcations qui fait de chaque représentation un moment unique.
Enfin, puisque la matière de l’action est vivante, Renault Cléon continuant à fabriquer, à vivre, à lutter, le texte devra suivre cette vie à laquelle il s’est attaché. L’usine fabriquera-t-elle réellement les moteurs électriques Renault, alors que certaines chaînes de montage ont été délocalisées en Roumanie ?

Le nombre d’ouvriers ne cesse de baisser. Photographie Achromatik.

Autour du spectacle : publics, échanges et transferts de connaissances ou de techniques
Puisqu’il est conçu pour rappeler les luttes sociales de la seconde moitié XXe siècle, le spectacle pourrait s’adresser à des aînés qui les ont vécues en même temps qu’à des jeunes qui ne les connaissent pas encore. Ainsi, on pourrait imaginer un public formé de retraités et de lycéens, par exemple.
Le spectacle peut éventuellement être suivi par un débat en compagnie de ses créateurs, auteur, santonniers, metteur en scène, qui peuvent à la fois échanger sur l’histoire sociale, la fabrication et la conception du spectacle.
_Enfin, même si les santons sont trop fragiles pour être confiés à des mains inexpérimentées, le spectacle pourrait servir de base à un atelier d’écriture et de création plastique, pour raconter en utilisant les éléments du spectacle et en y ajoutant d’autres, des luttes locales, un métier particulier, la vie d’une autre usine dans un autre secteur. Il pourrait aussi susciter des ateliers purement plastiques aboutissant à une création de personnages de terre moulée, selon la technique des santonniers.


Le projet En-jeu
L’idée, c’est aussi que La Ligne jaune soit modulable et évolutive. D’une table unique, où se joue une histoire, on pourrait passer à deux, puis trois, puis quatre tables, en fonction des possibilités. Dans la configuration maximale, quatre spectacles se dérouleraient en même temps sur quatre tables, l’événement s’appellerait alors En-jeu et déclinerait quatre thèmes différents, représentés avec des jouets sculptures variés. Ainsi, au lieu de concentrer l’attention des spectateurs vers un seul lieu, une scène ou un écran, En-jeu organiserait plusieurs pôles où ils seront invités à regarder et à participer à un spectacle sur lequel il faut baisser les yeux. Selon le lieu où il se produira En-jeu prendra des allures d’allée de marché, de foire ou bien de salon de jeu. En-jeu s’organisera selon quatre actes qui seront joués sur quatre tables suffisamment écartées les unes des autres pour qu’on puisse y parler sans se déranger :

• Table 1 Les droits des travailleurs avec la crèche (La Ligne jaune).
• Table 2 Justice et abolition de la peine de mort avec des pions, une table de jeu et tirage au sort des figurines, cartes ou roulette.
• Table 3 Les droits des femmes avec des soldats de plomb (ou du plat d’étain).
• Table 4 L’accès à la santé avec des figures de cire et des planches pédagogiques.

Chacun de ces actes d’une durée d’une vingtaine de minutes sera interprété par un acteur qui utilise des accessoires sculptés conçus pour voyager dans une seule valise, en transports en commun. Chaque spectateur aurait le temps d’assister à deux ou trois de ces spectacles dès lors que plusieurs représentations successives sont prévues.

Un copain a eu le bras arraché par la chaîne qui emportait les copeaux. Photo Achromatik

La création de la Ligne Jaune est soutenue par :
La Villa Mais d’Ici
Les CCAS
L’atelier 231 de Sotteville-lès-Rouen
Animakt // la Barakt,
La Fabrique sonore
L’Hostellerie de Pontempeyrat
La DRAC Ile-de-France


Durée : 45 mn

L’Équipe

Texte : Jean-Baptiste Evette

Conception : Christophe Evette

Avec : Raphaële Trugnan ou Pauline de Coulhac

Mise en scène : Nicolas Vidal, Evelyne Fagnen, Christophe Evette avec l’aide de Pauline de Coulhac et de Benoît Hamelin.

Modelage, moulage et peinture des santons et des accessoires : Amora Doris, Matisse Wessels, Fleur-Marie Fuentes, Caroline Kurz, Anna Deschamps et Meescat.

Réalisation de la table et des accessoires en bois : Jean Martin, Maurizio Moretti

Illustrations sonores : Fabien Caron

Le texte a été réalisé à partir d’entretiens avec les employés, les ouvriers et les syndicalistes de l’usine Renault Cléon qui ont bien voulu nous raconter leur travail, leurs luttes et leur quotidien et qui nous ont prêté leurs mots, merci à eux et à Pascal Le Manach, délégué CGT. Merci également à Dominique Beaux pour ses images sur Cléon en 68.

Fin 1967, y a des débrayages à Cléon. Un noyau dur d’une cinquantaine de gars anime l’action. Photographie Achromatik.

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